Article paru dans le magasine Semper – édition juillet 2020 – www.dsb.lu
Rubrique sous la responsabilité du Dr Manon Gantenbein, PhD, Responsable du Clinical and Epidemiological Investigation Center du LIH
Le Dr Torsten Bohn - chef du groupe de recherche «Nutrition et Santé» au Département de la santé de la population (DoPH) du Luxembourg Institute of Health (LIH) - Mohammed Iddir (doctorant) et le Dr Alex Brito ont récemment publié un article examinant l’importance d’un état optimal de nutriments spécifiques et de constituants alimentaires pour aider à contrôler l’inflammation et le stress oxydant, renforçant ainsi le système immunitaire pendant la pandémie de COVID-19.
Dans cette interview, le Dr Bohn (TB) partage certains de ces aspects.
Dr Torsten Bohn: Depuis la découverte du nouveau virus du SRASCoV-2 et de la maladie COVID-19 qui en résulte, il est devenu de plus en plus clair que les complications associées à la pathologie - telles que la détresse respiratoire aiguë, les complications cardiaques, la défaillance multi-organique, le choc septique et le décès - sont causées par une dérégulation du système immunitaire. Plus précisément, ces effets collatéraux seraient dus à une réaction excessive du système immunitaire inné, qui est la première ligne de défense de l’organisme lors d’une infection par un nouveau pathogène «inconnu». Cette réaction excessive est connue sous le nom de «choc cytokinique» ou de «tempête de cytokines», ce qui consiste en une production anormalement forte de cytokines pro-inflammatoires et d’autres protéines immunitaires en réponse à la réplication virale dans les cellules hôtes, entraînant ainsi un état d’hyper-inflammation. En effet, l’hyper-inflammation, en particulier dans les poumons, est une caractéristique de nombreux patients atteints de COVID-19, ce qui entraine des dégâts sur les tissus sains et, dans le pire des cas, une insuffisance pulmonaire et une détresse respiratoire aiguë. Afin d’aider à prévenir l’infection et à minimiser les risques liés aux formes les plus graves de COVID-19, un système immunitaire fonctionnel et sain est primordial, et une alimentation adéquate et équilibrée est un déterminant important d’une réponse immunitaire optimale.
«Certains nutriments peuvent contribuer à prévenir une inflammation excessive ou, au contraire, à la déclencher.» |
TB: Le système immunitaire non spécifique ou inné agit comme un mécanisme de défense naturel et physiologique, fournissant une réponse immédiate contre les agents pathogènes. Les cellules appartenant à cette immunité innée, telles que les mastocytes, les macrophages et les neutrophiles, produisent et libèrent une pléthore de cytokines et de chimiokines pour activer d’autres cellules, orchestrant et augmentant ainsi les réponses immunitaires. Cette gamme de médiateurs solubles, comprenant par exemple le facteur de nécrose tumorale (TNF-), l’interféron-(IFN-), diverses interleukines et des protéines immunomodulatrices, déclenche une inflammation afin d’améliorer la réponse immunitaire. Cependant, des quantités excessives de cytokines pro-inflammatoires conduisent à une perturbation de l’homéostasie du stress oxydant. Le stress oxydant - un déséquilibre entre les molécules oxydantes, telles que les espèces réactives de l’oxygène (ERO), et les enzymes antioxydantes telles que le glutathion et la superoxyde dismutase (SOD) - est un mécanisme qui peut aider à protéger contre les micro-organismes envahisseurs.
Néanmoins, en présence d’une production excessive de cytokines, comme celle déclenchée par le virus SRAS-CoV-2, l’homéostasie altérée du stress oxydant conduit à une quantité extrême d’ERO et d’autres agents oxydants, entraînant un état accru de stress oxydant. Cela provoque des effets indésirables documentés, tels que la dégradation des protéines et de l’ADN, la rupture des membranes cellulaires et, par conséquent, une augmentation de l’inflammation, causant finalement une perte de fonction cellulaire comme des dégâts endothéliaux. Les dégâts endothéliaux et l’inflammation semblent jouer un rôle essentiel dans COVID-19. En effet, les patients dans les unités de soins intensifs qui sont atteints de formes sévères de COVID-19 ont montré des taux plasmatiques élevés de plusieurs cytokines, telles que l’IL-2, l’IL-7, l’IL-10 et le TNF-, suggérant une «tempête de cytokines» et entraînant une hyper-inflammation ainsi que des réactions potentiellement fatales, telles que l’insuffisance respiratoire et la défaillance multi-organique.
TB: Le système immunitaire est étroitement lié à de multiples mécanismes de régulation physiologiques, tels que le système endocrinien, la régulation métabolique, le rythme circadien, ainsi que l’utilisation des nutriments. Les altérations alimentaires et les facteurs nutritionnels en particulier peuvent avoir un impact important sur les premiers niveaux d’inflammation chronique légère, ainsi que sur les risques et les symptômes des infections virales. En effet, certains nutriments peuvent contribuer à prévenir une inflammation excessive ou, au contraire, à la déclencher. De même, certains nutriments peuvent renforcer le système immunitaire mais aussi l’affaiblir. Par exemple, si nous regardons les pays peu industrialisés, la population est généralement plus susceptible aux infections en raison de l’apport faible en protéines, c’est-à-dire en dessous de l’apport généralement recommandé, qui est de 0,8 g/kg/jour. En effet, les protéines sont cruciales pour la production d’anticorps et pour le fonctionnement de la barrière muqueuse intestinale, entre autres, et donc pour le bon fonctionnement du système immunitaire. De plus, l’état protéique affecte également l’efficacité des vaccinations, la réponse immunitaire étant généralement plus faible dans des conditions d’insuffisance protéique. Concernant les autres macronutriments, les glucides simples (sucre), l’amidon et les graisses saturées sont également connus pour leur effet inflammatoire. Il est intéressant de noter qu’un indice inflammatoire alimentaire a justement été développé pour évaluer la capacité de l’alimentation à réduire l’état inflammatoire, démontrant davantage le lien clair entre l’inflammation, l’alimentation, les maladies chroniques ainsi que les infections virales. Ces considérations sont particulièrement pertinentes pendant la crise actuelle de COVID-19. En effet, le régime alimentaire peut jouer un rôle important dans la promotion de la santé globale pendant cette période de restrictions nationales.
«Un intestin sain pourrait contribuer à empêcher l’infiltration du SRAS-CoV-2 dans la paroi intestinale.» |
TB: Il existe deux catégories principales de constituants alimentaires qui pourraient avoir une influence sur le stress oxydant et l’inflammation, et donc sur la réaction de l’organisme aux infections telles que COVID-19. Il s’agit des nutriments, qui comprennent des composés essentiels tels que les minéraux et les vitamines, et des non-nutriments, tels que les fibres alimentaires et les composés phytochimiques. Les vitamines E et C sont parmi les principales molécules antioxydantes, qui aident à maintenir un équilibre sain d’ERO et à contrôler le stress oxydant et l’inflammation. Plusieurs études, y compris des méta-analyses, ont montré les effets bénéfiques de la vitamine C pour atténuer les effets du rhume, ainsi que la capacité de la vitamine E à réduire les risques de développer une pneumonie et des complications pulmonaires. De même, la vitamine D est essentielle au fonctionnement des lymphocytes T et a été mentionnée pour sa capacité à réduire le risque de grippe et de COVID-19, ainsi que la mortalité associée. Fait intéressant, il a été démontré que la vitamine D interfère avec la liaison du virus SRASCoV-2 au récepteur d’entrée cellulaire ACE2 (enzyme de conversion de l’angiotensine 2), réduisant ainsi le nombre de particules virales qui pourraient se fixer à ACE2 et pénétrer dans la cellule.
En effet, une récente étude rétrospective sur de nombreux cas confirmés de COVID-19 en Indonésie a indiqué que des patients plus âgés de sexe masculin avec des conditions préexistantes et des niveaux insuffisants de vitamine D étaient presque 13 fois plus susceptibles de succomber à la maladie. Bien que cela ne prouve pas une relation causale, c’est néanmoins une découverte très intéressante.
Les oligo-éléments ou micro-minéraux, tels que le zinc et le sélénium, sont des constituants d’enzymes antioxydantes telles que la SOD ou la glutathion-peroxydase, respectivement, qui maintiennent, entre autres, l’homéostasie oxydative. Un manque de ces substances peut entraîner une accumulation toxique d’ERO et a été associé à une durée plus longue des symptômes du rhume et à un risque accru de complications des infections des voies respiratoires.
Quant aux fibres alimentaires, elles ont un effet bénéfique puisque le microbiome intestinal les fermente, générant ainsi des acides gras à chaîne courte aux propriétés anti-inflammatoires, comme le butyrate. De plus, les fibres contribuent à une muqueuse intestinale plus forte et à une barrière plus puissante contre les agents pathogènes. Comme COVID-19 a également été associé à des problèmes gastro-intestinaux, un intestin sain pourrait contribuer à empêcher l’infiltration du SRAS-CoV-2 dans la paroi intestinale.
Les acides gras jouent également un rôle important dans la modulation du système immunitaire. Certains acides gras essentiels tels que les oméga-3 comme ceux provenant du poisson et des fruits de mer ont de puissants effets anti-inflammatoires, car ils sont transformés en lipides appelés résolvines, qui contrecarrent l’action des composés pro-inflammatoires dérivés des acides gras oméga-6, comme les prostaglandines. Un déséquilibre des acides gras, comme par exemple un rapport élevé d’acides gras saturés par rapport aux acides gras insaturés ou d’oméga-6 par rapport aux acides gras oméga-3, peut avoir des implications importantes pour l’homéostasie du système immunitaire, provoquant une inflammation excessive et favorisant des réactions allergiques, auto-immunes et métaboliques.
Enfin, les composés phytochimiques tels que les polyphénols et les caroténoïdes ont la capacité d’interagir avec des facteurs de transcription tels que NF-B et Nrf-2, qui sont respectivement des maîtres-régulateurs de l’inflammation et du stress oxydant. Ces composés phytochimiques, abondants dans les régimes à base de plantes, peuvent donc contribuer à réguler à la baisse les réactions inflammatoires et la production d’ERO, en affectant directement l’expression des gènes et en régulant à la hausse la production de molécules antioxydantes.
TB: Pendant le confinement, les gens ont été plus restreints en termes de mouvement, mais aussi d’un point de vue nutritionnel. En effet, les régimes alimentaires ont eu tendance à devenir plus limités et déséquilibrés en raison de problèmes de disponibilité des aliments, mais aussi en raison de facteurs psychologiques tels que le stress et l’anxiété, qui auraient pu modifier les habitudes alimentaires vers des aliments à haute valeur énergétique et plus «réconfortants».
Il est donc important de maintenir un état nutritionnel optimal pour s’assurer que le système immunitaire est suffisamment réactif pour monter une réponse efficace contre les agents pathogènes tels que le SRAS-CoV-2, tout en évitant simultanément l’hyper-inflammation et le stress oxydant excessif, ce qui peut conduire à des complications liées au COVID-19. Cela est particulièrement pertinent pour les personnes souffrant de maladies cardiovasculaires, de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, de diabète de type 2 et d’obésité, entre autres, car ces conditions sont déjà caractéri-sées par une inflammation systémique chronique et un système immunitaire dérégulé, augmentant ainsi le risque d’une infection sévère au COVID-19 et de complications qui en découlent. Les patients atteints de COVID-19 et tous les sujets intéressés peuvent obtenir des informations nutritionnelles pratiques auprès de plusieurs sources, dont l’OMS, les applications mobiles et l’Association nationale des diététiciens du Luxembourg (ANDL). Notre groupe «Nutrition et Santé» a également publié un «Guide alimentaire COVID-191» dédié au grand public, en collaboration avec des diététiciennes de l’ANDL et du Centre Thermal et de Santé Mondorf. Ce travail a été coordonné par le Dr Hanen Samouda et Sofia Sosa Fernandez Del Campo.
D’un point de vue clinique, il est important de noter que les effets et les rôles des différents composants alimentaires doivent être examinés à la fois individuellement et sous un angle plus global, compte tenu de la complexité des interactions entre les
nutriments individuels. Cela permettrait aux cliniciens de déterminer et de mesurer le statut nutritionnel des patients atteints de COVID-19 à partir du plasma, ce qui les aiderait à décider de prescrire des compléments alimentaires spécifiques ciblés en cas de présence de déséquilibre ou de niveaux anormalement bas.
Cependant, alors que les compléments alimentaires anti-inflammatoires et antioxydants peuvent être bénéfiques pour certaines personnes lors d’épisodes tels que la «tempête de cytokines» liée au COVID-19, l’administration de doses élevées et non physiologiques de ces composés isolés dans des conditions de santé normales doivent être examinées avec prudence, afin de ne pas réduire les réactions immunitaires naturelles. De même, il peut être nécessaire d’adapter la prise de compléments au profil de santé du patient. Par exemple, il a été démontré que la prise de complément en caroténoïdes (bêta-carotène) à des concentrations non physiologiques a un effet cancérogène chez les fumeurs et les sujets exposés à l’amiante.
Pour conclure, bien que les preuves du rôle des composants alimentaires dans l’atténuation ou l’aggravation des effets de l’infection COVID-19 n’en soient qu’à leurs débuts, ces résultats fournissent déjà une base intéressante pour des recherches plus approfondies sur ce sujet et semblent avoir le potentiel d’une stratégie adjuvante pour lutter contre le COVID-19.
L’article scientifique a été publié le 27 mai 2020 dans la revue Nutrients, avec le titre complet Strengthening the Immune System and Reducing Inflammation and Oxidative Stress through Diet and Nutrition: Considerations during the COVID-19 Crisis (Renforcer le système immunitaire et réduire l’inflammation et le stress oxydant par l’alimentation et la nutrition:considérations pendant la crise du COVID-19).
Référence: 1. https://sites.lih.lu/nutrihealth-group/covid-19/covid-19-food-guide/
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